L’un des principaux thèmes
explorés dans Maliarka est celui de l’identité.
Cette question est récurrente en littérature. Elle est née presque en même
temps que le roman, notamment en Angleterre, au xviiie
siècle, à une époque où les bouleversements sociaux (montée de la bourgeoisie,
apparition de la classe moyenne), politiques (naissance de la monarchie
parlementaire après la révolution dite « glorieuse ») et économiques
(essor du capitalisme) ont engendré un besoin de se (re)connaître et de
définir. Cette nouvelle forme littéraire, le roman, apparaît dans une société
où s’affirme l’individu, qui tente de se situer dans un ordre social mouvant.
Nombre d’œuvres publiées au xviiie
siècle portent d’ailleurs le nom d’un personnage dont on explore les multiples
facettes à travers un récit qui est se prétend authentique pour mieux
interroger le lecteur sur sa propre identité. Ainsi en se plongeant dans Robinson Crusoe (Defoe), Pamela (Richardson) ou encore Tristam Shandy (Sterne), c’est chaque
lecteur anglais qui tente de répondre à la question : qui suis-je ?
Le thème de l’identité ressurgit
toujours avec force pendant les périodes de troubles et de mutations sociales.
A l’heure de l’individualisme triomphant, où le selfie est la forme moderne de l’autoportrait, où l’on affiche aux
quatre coins de la toile son profil, son statut, où l’on est partout filmé,
identifiable et même fiché, on n’a jamais été moins sûr de savoir qui on est
vraiment. Les personnalités sont éclatées en multiples fragments identitaires :
on est un nom, un prénom, un enfant de, un habitant de, un ami de. On est un
métier, un adepte de telle religion, un militant de tel parti. On n’est parfois
qu’une série de chiffres, un matricule, un numéro de client. Dans une société
capitaliste, on est, bien sûr, avant tout, ce qu'on a. Et –luxe ultime !-
on peut désormais être aussi une maladie, un handicap. L’individu serait donc
une sorte de synthèse de toutes ces particularités. Etrange mosaïque… Et
finalement, à quoi correspond l’image qui apparaît ? Une création sociale ?
Une représentation intérieure ? L’apparition des nouvelles technologies
complexifie encore la question : quelle place pour l’individu dans le
monde numérique ? L’homme, transformé par le nouveau monde qu’il a créé, semble
avoir perdu son identité humaine avec la révolution numérique.
Maliarka, elle, a beaucoup de mal
à définir son identité. Son enfance itinérante l’a privée de racines, sa
famille s’est progressivement dispersée à travers l’Europe : elle ne peut
donc pas se définir par une identité nationale ou même une entité familiale.
Elle se qualifie donc de ʺmétéoreʺ, réduit ses origines au terme de ʺnulle
partʺ.
De même, elle parvient difficilement à se situer dans sa relation avec Clément,
ignorant quel terme employer pour présenter son compagnon. Clément est, lui
aussi, embourbé dans sa double identité culturelle : il est constamment partagé
entre le désir de répondre au stéréotype britannique du stiff upper-lip et le flot impétueux d’émotions latines qui l’envahit
régulièrement. La serveuse du Madrigal,
Lou, qui cherche à tout prix à coller à une image sociale de minceur et de
mode, est totalement dépersonnalisée et réduite à un squelette habillé selon
les normes en vigueur. Tous les personnages du roman nagent ainsi dans un flou identitaire
et le cliché n’apparaît que pour montrer à quel point il est caduc. Dans ce
contexte de perte de repères, le chiffre, loin de constituer un symbole
cartésien, scientifique, rassurant, représente au contraire une menace, que ce
soit celle du compte à rebours ou celle du digicode qui enferme et qui
cloisonne.
Et si, finalement, l’identité
était à rechercher dans le temps ? Au fil des jours, je deviens. Je suis
une expérience de vie. Ainsi, le cheminement de Maliarka se poursuit, même s’il
n’est plus géographique. C’est ce bout de chemin que propose le roman, avec, en
filigrane, le rappel que l’individu évolue parmi ses semblables : définir
mon identité, c’est non seulement
trouver ce qui me distingue de l’autre, mais aussi ce qui me rend identique. Nul ne peut exister seul :
même Robinson a besoin de Vendredi sur son île. C’est pourquoi, au-delà de la question
de l’identité individuelle, Maliarka
tente de réconcilier l’individu et le collectif, le personnel et la chose
publique.
Comme souvent tu as une approche intéressante et surtout qui a le mérite de nous obliger à réfléchir.
RépondreSupprimerEst ce que la notion même d'identité n'a pas perdu en partie ses fondements avec les évolutions technologiques ? c'est bien de poser cette question, je crois. Mais d'autres paramètres que tu soulèves également la modifient, ou plutôt lui donnent une autre valeur en fonction des époques.
C'est bien, tu sais donner envie de te lire en plus.
Bien amicalement à toi.
Merci, Jean-Marc. Nous sommes tous sensibles à la question de l'identité... très sensibles, même, pour certains. Je crois que toute la littérature nous interroge implicitement à ce sujet.
SupprimerBonne fin de semaine.
Amicalement.