dimanche 13 mars 2016

Lettre à Jean Ferrat

Cher Jean,

Vous n’étiez pas exactement un chanteur à la mode dans les cours de récréation des écoles primaires en 1986, une année qui, pour moi, restera marquée par les couleurs rouges et grises de la pochette d’un 33 tours, celles de votre album Je ne suis qu’un cri. Le disque trônait à la maison au-dessus de la collection complète de vos albums et -ô joie !-, figurait aussi parmi les vinyles de ma nounou. Une aubaine qui, à l’âge de neuf ans, me permit de connaître par cœur toutes vos chansons. Sans doute n’en ai-je pas d’emblée compris toutes les subtilités, quoique mon père se chargeât de m’expliquer les paroles, chanson par chanson, avec une patience qui n’avait d’égale que sa passion pour  votre œuvre, mais je ressentais profondément ce que les textes contenaient de colère et d’espoir.
Trente ans après, j’écoute, le cœur serré, la chanson Les cerisiers. Je suis infiniment triste à l’idée que « le vieux musicien » ait dû boucler ses valises avant que ne vienne le temps des cerises. Vous êtes parti avant le printemps, emportant votre « rêve modeste et fou », vous nous avez quittés « un beau soir d’hiver », comme vous le chantiez dans Le cœur fragile. Le cœur fragile, indispensable instrument à composer et à créer, somptueuse infirmité ! Celui qui chante se torture, écrivait Aragon. C’est probablement ce qu’aura cruellement ressenti Isabelle Aubray, voilà six ans, lorsqu’elle est montée sur scène, le cœur en berne, afin de vous rendre hommage. De cette épouvantable année 2010, je ne retiens que son sourire à elle parce qu’elle a eu la dignité de convertir sa peine en sourire, de ces sourires qui tremblent un peu, et d’évoquer la vie, non la mort, la présence, non le manque. Elle incarnait avec grâce ces vers que votre musique a sublimés :
Et les gens prennent pour des roses
La douleur dont [elle] est brisée.
Je n’ai pas de réconfortantes nouvelles à vous donner de cette pauvre terre. Du fond de ma vallée, je scrute le ciel à la recherche de l’étoile Hölderlin, de l’étoile Verlaine. J’entends du fond des ténèbres le rire de Robert le Diable. Je sais que depuis la constellation des poètes, vous continuez à distiller la lumière et la beauté.

2 commentaires:

  1. Un homme aimé dans notre cellule familiale. Son univers nous a plu et a résonné en nous...
    Petit tour chez lui en Ardèche en 2015.

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    1. Un pèlerinage incontournable. Son univers familier était d'une remarquable simplicité. Son univers poétique nous suit partout.

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