Cher Jean,
Vous n’étiez pas
exactement un chanteur à la mode dans les cours de récréation des écoles
primaires en 1986, une année qui, pour moi, restera marquée par les couleurs
rouges et grises de la pochette d’un 33 tours, celles de votre album Je ne suis qu’un cri. Le disque trônait
à la maison au-dessus de la collection complète de vos albums et -ô joie !-,
figurait aussi parmi les vinyles de ma nounou. Une aubaine qui, à l’âge de neuf
ans, me permit de connaître par cœur toutes vos chansons. Sans doute n’en ai-je
pas d’emblée compris toutes les subtilités, quoique mon père se chargeât de
m’expliquer les paroles, chanson par chanson, avec une patience qui n’avait
d’égale que sa passion pour votre œuvre,
mais je ressentais profondément ce que les textes contenaient de colère et
d’espoir.
Trente ans après,
j’écoute, le cœur serré, la
chanson Les cerisiers. Je suis infiniment triste à l’idée que « le
vieux musicien » ait dû boucler ses valises avant que ne vienne le temps
des cerises. Vous êtes parti avant le printemps, emportant votre « rêve
modeste et fou », vous nous avez quittés « un beau soir d’hiver »,
comme vous le chantiez dans Le cœur fragile. Le cœur fragile, indispensable
instrument à composer et à créer, somptueuse infirmité ! Celui qui
chante se torture, écrivait Aragon. C’est probablement ce qu’aura
cruellement ressenti Isabelle Aubray, voilà six ans, lorsqu’elle est montée sur
scène, le cœur en berne, afin de vous rendre hommage. De cette épouvantable année
2010, je ne retiens que son sourire à elle parce qu’elle a eu la dignité de
convertir sa peine en sourire, de ces sourires qui tremblent un peu, et
d’évoquer la vie, non la mort, la présence, non le manque. Elle incarnait avec grâce
ces vers que votre musique a sublimés :
Et les gens prennent pour des
roses
La douleur dont [elle] est
brisée.
Je n’ai pas de
réconfortantes nouvelles à vous donner de cette pauvre terre. Du fond de ma
vallée, je scrute le ciel à la recherche de l’étoile Hölderlin, de l’étoile
Verlaine. J’entends du fond des ténèbres le rire de Robert le Diable. Je sais
que depuis la constellation des poètes, vous continuez à distiller la lumière
et la beauté.
Un homme aimé dans notre cellule familiale. Son univers nous a plu et a résonné en nous...
RépondreSupprimerPetit tour chez lui en Ardèche en 2015.
Un pèlerinage incontournable. Son univers familier était d'une remarquable simplicité. Son univers poétique nous suit partout.
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