Le ministère de la Santé déclare le 31 mai « journée
mondiale sans tabac ». Et cela, pour le plus grand bien des fumeurs et
accessoirement des non-fumeurs qui, eux, accomplissent l’exploit de passer une
vie sans tabac. Enfin, ils essayent… de passer entre les volutes grisâtres au
bureau, au café, sur les quais de gare ou de métro. Ils se réfugient en vain
sous les panneaux « interdiction de fumer » mais partout la nicotine
les rattrape impunément. Les non-fumeurs poursuivent ce rêve modeste et
fou : celui de respirer. Ils sont
en lutte permanente contre l’asphyxie. Un combat bien difficile à mener quand,
parallèlement à ses efforts pour décourager les accrocs du mégot, le ministère
paye des chercheurs à démontrer l’existence de facteurs génétiques dans
l’accoutumance au tabac. Ainsi, il y aurait le gène des yeux bleus, le gène de
la paresse, et bientôt le gène du fumeur. La génétique vient à point nommé
justifier les comportements humains et, partant, déresponsabiliser les individus :
en effet, pourquoi les encourager à entreprendre un quelconque effort puisque
« c’est dans les gènes » ?
A mon humble avis, c’est surtout dans le
« cigare » que ça se passe… Le fumeur se trouve toujours mille bonnes
raisons de fumer, même les plus contradictoires : il est nerveux,
heureux, déprimé, il a été dragon dans
une vie antérieure... Et insidieusement, le tabac s’infiltre dans tous les
milieux : de l’intellectuel de Saint-Germain à l’homme d’affaires qui
affiche un succès bedonnant, en passant par le routier, le bidasse. Plus
récemment, la cigarette est devenue l’instrument fétiche de la femme libérée. Comment
met-on en scène des femmes soi-disant affranchies ? La clope au bec,
pardi ! Or, comment peut-on se déclarer libre quand on s’affiche
ouvertement dépendant du tabac ?
Toutefois, ne nous trompons pas de combat. Si j’ai jadis
caressé l’espoir de « sauver les fumeurs malgré eux », je suis
aujourd’hui revenue à des objectifs plus modestes. Fini le temps où je
planquais des paquets de cigarettes, piégeais des clopes, évinçais (au sens
strict: forçais à appliquer la loi Evin) des fumeurs des territoires non-fumeurs.
Je me cantonne désormais à la lutte active contre le
tabagisme passif. Vaste programme quand même ! Car fumer est un droit,
bien sûr ! On est libre de « se soigner par les plantes », après
tout. Sur ce terrain-là, les non-fumeurs se doivent de rester modestes et ne
pas se mêler de l’intoxication des autres. Mais la liberté des uns s’arrête
précisément où commence celle des autres. Alors, que cette journée serve au
moins à faire passer ce message aux plus radicaux et indécrottables
enfumeurs des espaces publics : donnez-vous les airs que vous voulez avec la
cigarette, mais cessez de nous pomper le nôtre !