Mon ami Pierrot,
Ah, je t’entends
d’ici t’indigner face à cette familiarité incongrue ! « Mon
ami », quel toupet ! Nous n’avons pas gardé les dindons
ensemble ! Et de quel droit utiliser ce nom de « Pierrot » usuellement
réservé aux intimes ? Et le tutoiement, par-dessus le marché ! Oui,
je me souviens parfaitement de ce que tu affirmais sur scène : « Dieu
ou pas, j’ai horreur qu’on me tutoie ! » Mais ce tu n’est pas une familiarité, au contraire… C’est, dans mon esprit
vaguement anglais, une forme de grand respect, c’est le Thou anglo-saxon, adressé aux êtres célestes, justement... Et puis,
honnêtement, avoue que cher Pierre
résonnerait commune une mauvaise homéotéleute prompte à écorcher l’oreille. Mon
Pierrot, donc, j’y tiens, car ce n’est pas parce que nous n’avons pas
élevé les dindons ensemble que nous n’avons pas de points communs : le
mépris pour la mode, la méfiance envers la capilliculture, le rejet des
superstitions… Le cancer aussi. Et la capacité à prononcer ce mot sans trembler
du genou. Je fais partie des gens qui, « grâce à la science, peuvent
profiter de leur cancer plus de cinq ans ». Un régal. Heureusement qu’il y
a ton verbe et ta verve, seuls antidotes à toutes les potions à bulles censées
nous rembourser quelques années de vie. Il faut bien quelque chose d’assez
décapant qui permette à l’esprit de s’accorder avec ce que subit le corps. Pour
cela, je n’ai rien trouvé de mieux que ton panache, toi qui as su nous faire
rire du cancer alors que tu en crevais.
Vois-tu, mon
Pierrot, je ne peux pas t’en vouloir d’avoir plié bagage. On n’a pas
franchement cheminé vers un monde meilleur ces trente dernières années. La
division des êtres entre les Juifs et les antisémites reste d’actualité,
laissant toujours aussi peu de place à ceux qui, comme toi et moi, ne sont ni
l’un ni l’autre et refusent de se plier aux alternatives contraignantes. Le
métier d’humoriste n’a sans doute plus la même saveur puisqu’il s’agit
maintenant de jouer les comiques bien-pensants, voire politiquement corrects…
Suis-je la seule à percevoir une antinomie ? Ainsi, le clown ne serait
plus celui qui prend sur lui le ridicule de la condition humaine ?
Non, reste
là-haut, mon Pierrot. Ici, on ne peut plus railler en paix, alors on bâille en
biais. Le rire censuré, c’est l’ennui assuré. Je t’imagine sur ta Lune, mon
Pierrot, et j’ignore de quoi tu te gausses désormais. Peut-être manifestes-tu
seul, peut-être une Colombine t’y tient-elle compagnie…
Respect, mon
Pierrot.
Hors sujet, mais important... Un tout petit extrait de l’entretien avec Pierrot dans « 60 écrivains parlent de leurs chats » : « Je n’ai jamais écrit sur mon chat. Tiens, c’est curieux, ce qui est écrit au dos du livre (le Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des biens nantis). "Il va de soi que les mots écartés ne l’ont pas été arbitrairement mais à la suite d’un choix réfléchi de l’auteur et en accord avec lui-même et avec son chat sur les genoux." »
RépondreSupprimerAh, le chat (une chatte) était prénommée Bokassette.
Câlins aux félins. Bises Miss Tigri.
Merci pour ces infos et cette référence. J'avoue que j'ignorais l'existence de Bokassette (étonnant, non?). Je vais aller voir de plus près cet ouvrage.
SupprimerCaresses au quatuor LTHM.
Bises, Phil.
30 ans aujourd'hui ...
RépondreSupprimerDéprimant non ?
Oui, mais 30 ans après, il continue à nous faire rire...
Supprimer