Ars Moriendi, ou l’art de (bien)
mourir… Quelle drôle d’idée d’évoquer la mort alors que ce blog vient à peine
de naître ! Mais après tout, comment parler de début sans envisager la fin ?
Et puis la mort n’a pas toujours été un sujet qu’on évoque en chuchotant ou en
fermant les portes. Dès le Moyen âge est apparu le souci de préparer le vivant
à une épreuve inévitable, celle qui frappe sans discernement le riche et le pauvre,
le vieux et le jeune, le génie et l’andouille, bref tout individu ayant cédé à
la tentation de venir au monde : la mort. C’est ainsi que l’on a conçu au
XVe siècle une sorte de guide que l’on qualifierait aujourd’hui de
grand succès de librairie, l’Ars Moriendi
ou l’art de bien mourir. L’idée était simple : on vit mieux lorsqu’on
s’est bien préparé à sa mort, autrement dit l’Ars Moriendi pouvait se concevoir, par extension, comme un art de
vivre. Il faut dire qu’entre la peste, les croisades, la guerre de cent ans,
les populations n’avaient pas manqué d’occasions de réfléchir à la question. A
l’heure où notre réflexion sur notre mort se résume, dans le meilleur des cas,
à la signature d’un contrat obsèques et à quelques lignes de testament, parfois
davantage conçu comme un instrument de vengeance à l’égard des neveux qui n’auront
pas un sou, il serait peut-être utile de dépoussiérer ces vieux feuillets
médiévaux et de se remettre à penser la mort comme autre chose qu’une marchandise,
et donc, de nous montrer capables de raisonner au-delà d’une logique
capitaliste. Certes, il faudrait commencer par s’affranchir de l’influence
chrétienne qui régnait à l’époque de la rédaction de l’ouvrage et n’en
conserver que l’aspect spirituel. Y-a-t-il une mort sereine ? Peut-on
parvenir à abandonner la vie sans regret ? Un questionnement abyssal et au
bout du chemin, peut-être la réponse…
Comme nombre de
sujets d’études, la question de sa propre mort se conçoit mieux en observant
celle des autres. Et là encore, les exemples ne manquent pas. Prenons quelques
minutes pour analyser plusieurs célèbres agonies. Nous observons qu’une
mort triviale vient parfois frapper des personnages que le triomphe social a
rendus immodestes. La Grande Faucheuse rappelle ainsi brutalement son deuxième
surnom : the great leveler,
autrement dit, celle qui remet tout le monde au même niveau. Voyez Charles VIII
s’assommant sur un linteau en 1498, à Amboise ; Henri II terrassé lors d’une
joute amicale, en 1559 lors d’un tournoi contre le comte de Montgommery… Et
quand j’essaye d’imaginer leurs dernières paroles… Charles VIII, pressé de se
rendre au jeu de Paume : «J’espère qu’ils ne vont pas commencer sans m… ».
Et ce pauvre Henri II : « T’es con ou quoi ! On avait dit pour
rire, Gaby ! »
Dans le genre pas
glorieux, on a aussi Lully. Quand on est d’un tempérament irascible, on ne s’amuse
pas à marquer le tempo avec un bâton de direction, surtout en pleine période
baroque. Une fausse note, un coup de sang, paf le bâton sur l’orteil, et Dieu
sait si le style baroque, c’est chargé ! Bref, gangrène et zou ! « Bienvenue
au club, mon vieux », dit Louis XIV, lui-même tourmenté par sa fistule
anale. Lully meurt en 1687, quelques
semaines après Louis XIV et neuf ans avant l’invention du premier métronome qui
lui aurait peut-être sauvé la vie.
Dans le monde des
arts et du spectacle, on trouve toutefois quelques cas de nobles trépas.
Certes, peu de Cyrano ont eu l’occasion de rendre leur dernier souffle en
récitant des vers, mais on notera quand même l’effort de Molière, qui a su tirer
sa révérence sur scène ou du moins entamer son agonie lors d’une représentation
du Malade imaginaire. Une fois de
plus, on croit entendre les dialogues parmi les spectateurs :
« Ah !
Il est bon, le bougre ! Qu’est-ce qu’il joue bien !
-
Euh, non, attends… Je crois qu’il déconne pas, là… »
Un sujet qui
mérite bien qu’on y réfléchisse donc, car, contrairement au théâtre, on ne la
joue qu’une fois et sans répétition. Ars
Moriendi, l’art d’apprivoiser cette peur ultime et d’apprendre à ne plus
craindre que soi-même, son empressement, sa virulence, son orgueil… Nul besoin
de méditer, un crâne dans la main. Peut-être juste vivre chaque jour comme si c’était
le dernier, mais rêver et concevoir des projets comme si nous étions éternels.
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