Je suis venue vous trouver hier à
votre domicile parisien de la Place des Vosges, mais vous n’y étiez pas. On m’a
tout de même permis d’entrer et de visiter les lieux – un fort beau logis,
assurément – et j’ai, en effet, constaté votre absence. Il semblerait que nous
nous soyons loupés d’environ un siècle et demi. Dommage. J’étais d’autant plus
déçue que j’arrivais avec une grande nouvelle : Les Misérables sont à Hollywood ! Oui, j’imagine que, formulée
ainsi, la chose ne vous semble pas limpide. Je vous explique : dans les
années 80 (enfin, je veux dire 1980), deux types ont conçu une idée folle :
adapter votre roman Les Misérables au
théâtre et en musique, un concept anglo-saxon que l’on nomme Musical, autant dire un projet aussi
follement ambitieux que votre œuvre ! Ces deux artistes se nomment Alain
Boublil et Claude-Michel Shönberg et ils se sont offert le talent d’un certain
Robert Hossein pour la mise en scène. L’idée était simple et sublime :
présenter les moments forts du roman comme une succession de tableaux musicaux.
Pas un opéra. Pas du théâtre. Musical.
Pardonnez-moi, mais je rechigne à utiliser le terme français « comédie
musicale », hélas trop associé à de vastes daubes contemporaines et autres
tchik-tchik-tchik-aïe-aïe-aïe ! J’emploie également la terminologie
anglaise car, à vrai dire, la France s’est montrée peu réceptive au concept.
Mais de l’autre côté de la Manche, quelqu’un a flairé le chef-d’œuvre… Un
spécialiste des Musicals de la
West-End à Londres, producteur de nombreux spectacles musicaux, a immédiatement
saisi la dimension de l’œuvre. Cet homme s’appelle Cameron Mackintosh et,
croyez-moi, cher Victor, il fut le meilleur ambassadeur mondial de votre roman
et de vos idées. Oui, j’ai bien dit « mondial ». Car si l’aventure a
réellement commencé à Londres, elle s’est ensuite propagée partout dans le
monde. Bon, je sais ce que vous allez dire… Cette étape londonienne, c’est un
peu comme un nouvel exil, un autre Guernesey… Eh bien, il faut croire que les
Iles britanniques ne vous réussissent pas mal, finalement… Les Misérables sont nés à Guernesey et leur plus belle adaptation a
connu une renaissance à Londres : coup du sort, fatalité, ou plutôt
« Anarkia » comme vous l’écriviez au début de Notre-Dame de Paris. Et puis le vent a soufflé sur les partitions
de Shönberg, amenant votre formidable épopée humaine jusqu’à Broadway. Tous les
soirs, on hissait le drapeau français et le drapeau rouge de la révolution au
pays de la World Company ! Un véritable triomphe ! Je suis émue, cher
Victor, de vous adresser ces quelques lignes, car vous êtes vraiment l’homme de
tous les superlatifs : imaginez-vous que les Misérables ont tenu plus de vingt-cinq ans à l’affiche à
Londres ! Les plus brillants interprètes du spectacle ont été réunis à
l’occasion du dixième anniversaire pour un unique et gigantesque concert au
Royal Albert Hall de Londres. Le final fut grandiose lorsque les dix-huit
Jean Valjean de chaque pays sont venus chanter ensemble, dans leur langue,
escortés par les petits Gavroche du monde entier. C’était le 8 octobre 1995, le
jour de l’anniversaire de mon papa. Si je vous racontais cela en face, cher
Victor, ma voix se briserait d’émotion.
Je suis certaine que vous seriez fier de tous
ces artistes qui se sont associés et succédés depuis près de trente ans pour
incarner Valjean, Fantine, Javert, Eponine, Cosette… Je puis vous assurer
qu’ils n’ont rien trahi de votre œuvre, et surtout pas sa dimension sociale et
révolutionnaire. Bien sûr, je comprends votre scepticisme quand je vous dis que
Les Misérables sont passés par
Hollywood où ils ont raflé trois Oscars, mais si en janvier 2012, vous aviez
assisté, à Paris, aux Champs-Elysées, à l’avant-première du film adapté du
spectacle musical, vous n’auriez plus l’ombre d’un doute. Votre frère de plume,
Stendhal, disait « La bonne musique ne se trompe pas, et va droit au fond
de l’âme chercher le chagrin qui nous dévore ». Alors, lorsque la bonne
musique rencontre la bonne littérature, voilà comment l’on bâtit la légende des
siècles.
Je repasserai Place des Vosges,
des fois que je vous aperçoive à votre fenêtre… et si je ne vous y trouve pas,
j’imagine que c’est parce que vous serez occupé à enfiler votre plus beau
costume afin d’aller recevoir votre Oscar. Un Oscar pour un écrivain ?
Pourquoi pas. Voilà qui finirait d’étouffer les journalistes, qui ne savent
plus quoi inventer pour ternir votre succès. Mais vous avez allumé la mèche,
Victor… Qu’ils le veuillent ou non, vous avez allumé la mèche.
Mes tigres de salon ronronnent
leurs respectueuses salutations à l’ailurophile que vous êtes. Quant à moi, je
me permets de vous embrasser, cher Victor, et je m’en vais glisser cette lettre
juste derrière la préface des Misérables,
pour que vous passiez la lire quand il vous plaira.
Super !!!!!!!
RépondreSupprimerQuel grand Victor dont on parle encore!!
Quant aux Misérables ,quel spectacle !!
On n'aura jamais fini d'en parler... voire de le chanter !
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